Matbonheur35 à Vaniabonheur35

27 juillet 2021 0 Par Nadiege

Comme presque tous les soirs, Mathieu s’installa confortablement dans son canapé et alluma l’ordinateur portable posé sur sa table basse. Le confinement avait grandement réduit ses possibilités de sorties. Du reste, les bars qu’il fréquentait habituellement désormais fermés et les rues vides dès 19 heures ne constituaient pas une incitation à la balade, encore moins à la drague.

Mathieu ne pensait pas qu’il supporterait aussi mal cette période d’isolement. Plutôt beau gosse, il avait bénéficié de pas mal de bonnes fortunes jusqu’à ce qu’il tombe amoureux de Morgane avec qui il s’était installé l’année précédente. Bien qu’il ait décidé de devenir raisonnable, il avait eu bien du mal à rentrer directement chez lui après sa journée de travail. Il y avait le sport, et en sortant de la salle d’entraînement, l’apéro avec les potes…Bref, Morgane attendait autre chose de leur couple et s’était lassée assez vite. Puisqu’il faut nommer les choses, elle l’avait largué, refusant de continuer à perdre son temps « avec un ado attardé ». Il avait souffert, plus qu’il ne l’aurait cru. Heureusement les copains étaient là, enfin ceux qui ne vivaient pas encore à deux, de plus en plus rares en fait.

– Une de perdue, tu connais le dicton ! C’était pas la bonne, c’est tout !

Les fiestas ne comblaient plus la sensation de vide qui s’était installée dans sa vie, pas plus que  les nanas d’un soir interchangeables  qui se succédaient dans son lit. L’espoir d’une rencontre plus sérieuse, ou du coup de foudre s’éloignait. Au bureau, une collègue récemment recrutée, brune pétillante l’avait immédiatement attiré. Mais quand elle lui avait tendu une carte avec son 06 et déclaré en mode offensif « Tu sais que tu es mignon, toi ? Appelle-moi un de ces soirs, qu’on fasse connaissance », il était resté sans voix. Il communiquait de plus en plus de mal  avec les femmes, elles draguaient comme lui, il n’avait plus les codes. Il se découvrait plus romantique qu’il ne l’aurait cru, et même si intellectuellement, il ne voyait pas pourquoi elles devraient attendre le prince charmant en faisant du tricot, dans la vraie vie il se sentait dépossédé de son pouvoir de séduction.

Il avait fini par céder à la mode des sites de rencontres. Après tout, c’est une façon comme une autre de faire des connaissances  au-delà de son cercle habituel. Sur Meetic, il était Matbonheur35. Il avait réfléchi pour rédiger son profil. Après avoir parcouru le site, il renonça très vite à la photo qui mettait le plus en valeur sa musculature, et adopta un cliché qui le montrait élégant et naturel. Il osa parler d’une envie de long terme et de stabilité, et mit presque honteusement la gentillesse et la simplicité dans ses critères de recherche.

Comme d’habitude, il commença à parcourir les messages et s’arrêta sur Vaniabonheur35.

– Y a-t-il une première phrase qui amènerait forcément une réponse de ta part ? Je galère.

– Essaie la flatterie, parfois ça marche !

– Je sais, mais j’aime pas. Je cherche un homme sérieux, intelligent, beau gosse, pour la vie.

– Mais c’est tout moi ! On a des points communs, on a eu la même idée pour le pseudo. Tu t’appelles Vania ?

– Non, Laurence. Vania, c’est parce que j’aime les auteurs russes…

La  conversation se poursuivit de manière fluide sur le mode de l’humour, et pour la première fois il eut envie de poursuivre l’échange qu’elle interrompit au bout d’une heure. Il se surprit à attendre impatiemment la suite. Sa photo de profil était intrigante. Un chapeau, des lunettes noires, on devinait ses traits plus qu’on ne les voyait. Jolie silhouette en tous cas !

Le lendemain, il espéra qu’elle soit en ligne. Et elle était là.

– Si je te croise dans la rue, comment je fais pour te reconnaître ? J’aimerais bien qu’on se rencontre, mais tu avances masquée, non ?

– En fait, je préfère ne pas attirer l’attention de gens que je connais. Ils ne comprendraient pas. A force de jouer les nanas à l’aise pour ne pas passer pour une pauvre solitaire, les filles m’évitent parce qu’elles ont peur que je monopolise la lumière, les garçons ne m’envisagent que comme une partenaire délurée.

– Et donc ?

– Je suis dans une impasse. J’ai envie d’autre chose. Finalement il n’y a que sur ce site que je peux exprimer mon envie d’une relation sérieuse, sur le seul endroit où d’autres cherchent l’aventure

– Moi aussi, je désespère de trouver la femme avec qui je pourrais partager ma vie. A 34 ans, j’ai envie d’autre chose que des soirées match ou boîtes de nuit. Et si nous faisions plus ample connaissance ? On pourrait prendre un verre au Picadilly pour fêter sa réouverture et renouer avec la vraie vie !

– Avec plaisir. Je suis très disponible en fait. Demain ? Après-demain ?

– demain 19h ?

– Je te reconnaîtrai comment ?

– Je mettrai les mêmes lunettes et le chapeau. Et j’espère que tu ne partiras pas en courant quand je les enlèverai.

– Je prends le risque.

Il trouva le temps long jusqu’au lendemain. Sa dernière réplique l’avait surpris. Un peu avant l’heure, il s’installa sur une banquette près de la fenêtre et guetta son arrivée. Son couvre-chef estival ne passa pas inaperçu  lorsqu’elle entra dans le pub.

Soudain, il la reconnut. Elle semblait mal à l’aise et débita d’un trait la phrase qu’elle avait préparée.

– Bonjour Mathieu. Moi c’est Laurence. Je travaille au service communication et je te demande d’oublier la première phrase que j’ai prononcée en te voyant. Je ne sais pas qui a dit « on n’a pas deux fois la possibilité de faire une première bonne impression », mais j’insiste pour essayer. Je me suis sentie stupide. Quand j’ai vu que tu tournais les talons, j’ai eu des regrets. Et je suis tombé sur ton profil, je t’ai reconnu, j’arrête de tricher, je sais qu’on a un bout de chemin à faire ensemble. Donne moi une chance. Si tu pars, je vais me mettre à pleurer.

Mathieu sourit

– D’accord, assieds-toi , je reste…enfin, à condition que tu enlèves ce chapeau !