C’est le croque – mort qui a fait le coup !

29 juin 2022 4 Par Nadiege

Cette nouvelle a été proposée au concours organisé par le magazine Lire-Librinova. Le sujet choisi par Valérie Perrin : inventer la suite à « Le lundi 5 novembre 2018, l’agent funéraire procéda à l’ouverture du cercueil pour l’exhumation, il était vide ». Entre 12000 et 16000 signes . Consultable sur https://concours-lire.librinova.com/

Le lundi 5 novembre 2018, l’agent funéraire procéda à l’ouverture du cercueil pour l’exhumation, il était vide. Le lieutenant de police Marc Delmont respira un peu, il n’avait plus  à craindre de passer pour un piètre enquêteur. Il avait du longuement insister pour obtenir de la juge Carole Mercier, chargée de l’affaire Matéo Verdier assassiné à Nantes en novembre 2017 en sortant de boîte de nuit,  qu’elle sollicite le Procureur seul habilité à ordonner l’ouverture de la sépulture. Le motif, identifier le cadavre, ou plus exactement vérifier son identité.-

– Mais enfin, Lieutenant,  nous savons qui est enterré là ! Et depuis juin 2015 ! Les obsèques de Thierry Girard se sont déroulées normalement. Sa femme a assisté à la mise en bière et à son scellement, et l’assistance était nombreuse à cet enterrement !

Très dubitative, elle avait finalement cédé à son insistance, et ils s’étaient rendus au petit matin dans le cimetière de Trioulec, avant son ouverture au public, en présence d’ un représentant du Maire.  La zone où se trouvait la tombe avait été délimitée par un balisage tendu entre les cyprès qui bordaient les allées, derrière lequel deux policiers veillaient à ce que personne d’autre  ne puisse approcher. Risque bien minime, en raison de l’heure et de la température glaciale. Heureusement, il ne pleuvait pas !

Les deux  fossoyeurs requis déplacèrent  la plaque de marbre et ouvrirent le caveau. Le cercueil n’avait pas trop souffert, il n’était là que depuis un peu plus de trois ans. Ils portaient une combinaison intégrale pour respecter les règles d’hygiène et pour ne pas qu’on puisse les reconnaître. Delmont leur avait expressément demandé de garder le secret sur ce qu’ils verraient pour leur propre sécurité. Ils transportèrent la bière dans le funérarium vide et un agent funéraire fit sauter les scellés avant de s’éloigner  pour laisser la place au collègue chargé du prélèvement ADN.

Elle avait beau connaître les déductions de Delmont, la juge Mercier confrontée à la vacuité de la boîte eut bien du mal à garder une attitude neutre.  Dans cette salle froide, régnait une odeur piquante, celle du désinfectant dont on avait aspergé les quatre planches encore bien jointées où le sieur Girard était censé reposer pour l’éternité. Il lui demanda discrètement de ne pas manifester sa surprise et de le laisser faire pour ne pas que le Maire resté en arrière ne se doute de leur découverte. Le collègue de la scientifique fit semblant d’effectuer le travail demandé. Les agents funéraires refirent les opérations dans l’autre sens pour replacer le cercueil, la dalle de marbre et ils quittèrent les lieux après s’être salués.

Le lieutenant Delmont proposa à la juge de la raccompagner, ainsi ils pourraient échanger durant le trajet retour vers Nantes. L’affaire prenait un tour nouveau.  L’hypothèse du Lieutenant Delmont se vérifiait. Elle l’avait vraiment sous estimé. Dans son vieil imper élimé, de loin, il pouvait faire penser à un célèbre inspecteur de série télévisée, mais la ressemblance s’arrêtait là. Sauf  qu’il accordait plus d’importance à son intuition qu’aux moyens modernes d’investigation, utiles certes mais qui selon lui  remplaçaient trop souvent chez ses collègues plus jeunes l’observation et le questionnement  initial, clé des enquêtes réussies.

– Ainsi, Thierry Girard est probablement vivant, vous aviez raison.

– Et je pense qu’il a éliminé  le docteur Menard en janvier 2016, ainsi que sa femme en août de la même année.

– Mais il n’y a pas de mort suspecte dans ces deux cas, les enquêtes ont établi clairement la cause des décès. Le premier se serait suicidé en se jetant du haut du pont vieux à Trioulec, son corps a été repêché bien plus loin en aval trois jours plus tard. La deuxième a fait une chute mortelle en voulant photographier une cascade lors d’un séjour de vacances à la Réunion. La conclusion, un accident lié à l’imprudence.

– En effet ! j’ai commencé à douter de ces versions officielles en enquêtant sur la mort de Matéo Verdier. Nous sommes en échec sur cette affaire. La seule certitude qui ressort des constatations, c’est qu’il connaissait vraisemblablement son agresseur, il n’y a pas eu lutte.

– Nous avons très peu d’éléments, en effet, pas d’empreinte, et on n’a pas retrouvé l’arme avec laquelle il a été poignardé.

– En retraçant la vie du jeune Mercier, j’ai découvert qu’il avait exercé un temps  les fonctions de croque-mort. Ses camarades plaisantaient beaucoup à ce sujet, tant ce job d’appoint  leur paraissait parfaitement improbable pour financer des études pour ce qui les concernaient. Il était bien payé pour ce travail, habitué depuis l’enfance à côtoyer des macchabés et à entendre parler de la douleur de proches, dans l’entreprise de pompes funèbres que possédait son oncle. C’est cette société qui s’est occupé de l’enterrement de Thierry Girard.

– Certes ! mais de là à en déduire un lien avec son assassinat !

Le lieutenant Delmont invita Carole  Mercier à faire un détour par son bureau pour lui présenter les éléments qu’il avait recoupés pour en arriver à la conclusion qu’il existait un lien entre ces morts violentes, naturelles ou pas . Il lui proposa un café avant de lui détailler un schéma tracé sur un paper board , aussi clair que son bureau était foutoiresque. Curieux bonhomme, songea-t-elle. Discret mais ô combien efficace.-

– T. Girard assureur au portefeuille clients bien garni, officiellement sous terre depuis juin 2015, disposait d’un pactole conséquent avant de disparaître. Bons placements, mais également soupçonné à plusieurs reprises de trafics de voitures. Plus exactement de fournir des documents d’expertise attestant de faux kilométrages, ou autorisant la réparation de véhicules qui auraient du finir à la casse et qui roulaient finalement dans les pays de l’Est. Sa mort  a éteint les poursuites. Et Mme Girard disparaît quelques mois plus tard. Elle avait entre-temps visiblement amélioré son train de vie, et voyageait beaucoup.

– Elle a hérité de beaucoup d’argent ?

– Pas mal, elle  touche l’assurance – vie constitué par Girard. Et elle meurt !

– Vous ne croyez pas au décès accidentel de Madame, j’imagine !

– Pas de témoin de la chute, elle était restée en arrière pendant que les participants à la sortie organisée par l’hôtel où elle séjournait remontaient dans un bus.

Le lieutenant Delmont lui exposa le travail de fourmi qu’il avait entrepris pour essayer de trouver qui avait pu vouloir éliminer Matéo Verdier, et comment la découverte de son étonnant job d’étudiant l’avait orienté sur une nouvelle piste. Il avait fait la liste des enterrements dont il s’était occupé, et relevé l’identité des agents funéraires qui avaient accompagné les familles en ces tristes circonstances. Matéo Verdier travaillait souvent en équipe avec un collègue dont il cherchait la trace.

– Après la levée du corps, on laisse généralement une trentaine de minutes à la famille avant la fermeture du cercueil. Lors de la mise en bière de Girard et de la pose des scellés, seuls les deux agents funéraires et son épouse étaient présents dans la pièce. C’est quand j’ai voulu interroger Mme Girard que j’ai découvert qu’elle était morte.

– Et ?

– T. Girard, son épouse, et Matéo Verdier morts ! En me renseignant sur les causes du décès de Girard, la routine, j’ai voulu appeler son médecin. Pas de chance, mort lui aussi. J’ai commencé à suspecter une affaire crapuleuse en cherchant un lien entre ces décès.-

– Mais le docteur Ménard n’était pas avec eux dans la chambre funéraire ?

– Non, mais c’est lui qui a signé le certificat de décès de Girard qui aurait fait une rupture d’anévrisme. J’ai découvert qu’il  menait grand train, avait des dettes. Beaucoup d’oseille contre un faux certificat de décès, c’était probablement attirant !

– Que s’est-il passé, selon vous ?

– Girard a du  jouer les gisants, puis disparaître avant la fermeture de la bière, forcément avec la complicité des présents.

– La motivation serait financière ?

– Vous savez, les motifs sont presque toujours les mêmes : le fric ou le cul !

– Et maintenant ?

– Il me semble essentiel de ne pas ébruiter notre découverte. Il va falloir retrouver le dernier témoin de cette supercherie, le deuxième agent funéraire. Soit il est en danger de mort, soit c’est l’assassin.

Des semaines étaient  passées sans que l’enquête connaisse la moindre progression. Comme à son habitude, le Lieutenant Delmont avait essayé de trouver un fil sur lequel tirer pour démêler la pelote, en repartant à la source. Girard n’était pas décédé, où pouvait-il  se cacher ? Il avait consulté méticuleusement son dossier, étudié les soupçons qui pesaient sur lui et qui pouvaient amener à conclure qu’il s’agissait d’un trafiquant de voitures, et ce, depuis de longues années. Qui dit trafic dit réseau. Il s’était dit qu’à sa place, il aurait rejoint la Roumanie ou la Bulgarie où il connaissait du beau monde.

 Il avait sollicité la juge Mercier pour l’exhumation qui confirmerait son hypothèse et lui permettrait de demander des  recherches dans ces deux pays.

– Ça va prendre du temps ! Quelle chance avons-nous d’aboutir ?

– Je le sais. Mais pouvons-nous nous dispenser de rechercher Girard ? c’est probablement l’instigateur de toutes ces affaires.

La vie du commissariat suivait son cours. Peu d’affaires palpitantes, les plaintes pour vol, les cambriolages, les violences conjugales, la routine en somme. Il y eut bien un meurtre sordide, mais l’assassin, un SDF alcoolisé avoua les faits dès son interpellation. Les talents de fin limier des policiers n’eurent pas à être sollicités.

C’est en Roumanie, exactement à Vasliu, qu’une piste crédible se présenta. La description fournie correspondait au portrait d’un propriétaire de sept garages situés dans différentes bourgades. Ils avaient été acquis entre les années 2009 et 2017.

Le lieutenant Delmont demanda audience à la juge et l’informa des derniers développements :

– Je pense avoir localisé Girard. C’est un garagiste  surnommé « Le Français ». La police locale le soupçonne d’écouler des voitures volées en France. Il travaille forcément avec des intermédiaires qui achètent les véhicules. Nos collègues roumains ont signalé qu’à l’échelle d’un tel trafic, il faut bénéficier de complicités dans la police. Le Parquet de Paris a été saisi.

– Vraiment ?

– Oui, parce que les véhicules signalés sont radiés du fichier confidentiel FOVES où ils sont enregistrés avant d’être revendus.

La juge Mercier put vérifier que le parquet de Paris avait fait saisir L’Inspection Générale de la Police (IGPN) après la découverte de manipulations dans le fichier confidentiel des voitures Volées (FOVES). Des fonctionnaires de la compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI) étaient suspectés.

Les mois passaient. Les radiations de voitures volées se multipliaient, les manipulations frauduleuses, effectuées depuis les ordinateurs de nombreux commissariats parisiens, notamment dans ceux des 12ème, 13ème, 16ème,17ème, 18ème et 20ème arrondissements. A chaque fois, les identifiants de fonctionnaires différents étaient utilisés. Les enquêteurs découvrirent que ce système frauduleux de remise en circulation de voitures, mais aussi de motos, volées avait démarré en octobre 2017. Placé sur écoute, un homme soupçonné d’avoir acheté plusieurs de ces véhicules volés et radiés du fichier, évoqua avec un proche un « flic ripou », prénommé « Nico ». L’étau se resserra sur un jeune gardien de la paix Nicolas Sudre, âgé de 31 ans. Il fut arrêté à Saint Mandé et mis en examen dans l’affaire de trafic de voitures.

Chez lui, de nombreux vêtements et une dizaine de montres de luxe attestèrent de son train de vie. Vacances à Ibiza (Espagne), dépenses en moins d’un mois de près de 16 000€. Dans la fouille du domicile de sa mère, on récupéra un pistolet automatique Glock 19 de calibre 9 mm parabellum. Deux autres armes retrouvées dans un box loué au nom d’un proche complétaient l’arsenal. Les enquêteurs trouvèrent encore 55 000€ en argent liquide et un document listant une vingtaine de matricules de policiers en exercice dans différents services parisiens, ainsi que leurs codes d’accès aux fichiers police, dont le FOVES. Nicolas Sudre nia tout en bloc et commença à préparer sa défense.

Au vu des éléments dont il disposait, le Lieutenant Delmont  obtint son interpellation et son incarcération pour meurtre. La juge Mercier l’interrogea dans le cadre de l’affaire Verdier-

– Que faisiez-vous avant d’entrer dans la police ?

– Après le bac, j’ai vaguement commencé des études de droit. Mais ça ne m’a pas accroché. J’ai perdu deux ans en fait, en allant de moins en moins à la fac

– Et vous viviez de quoi ?

– Une petite bourse la 1ère année, et des petits boulots le reste du temps avant de me décider à tenter le concours de gardien de la paix.

– Quels emplois ?

– Comme tout le monde, Mac Do, serveur

– Et agent funéraire, aussi ? Curieux que vous ne vous souveniez pas d’avoir exercé cet emploi peu banal.

– Je ne l’ai fait que quelques fois ! Trop dur ! C’est un copain qui m’a sollicité quand son entreprise manquait de bras

– Matéo Verdier, n’est-ce pas ?

– Oui, c’est ça.

– Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

– Je ne sais plus. On s’est perdus de vue quand j’ai quitté Nantes pour la région parisienne.

-Vous avez officié lors de l’enterrement de Thierry Girard en juin 2015. Enfin, si on peut appeler ainsi cette mystification ! Nous avons exhumé le cercueil, il était vide.

Nicolas Sudre confondu, confirma que Girard avait attendu le départ du convoi funéraire pour quitter les lieux avec sa voiture cachée non loin de là. Mais il nia toute implication dans le meurtre de son collègue. Il paraissait sincère. A l’annonce des morts successives des protagonistes de l’histoire, il sembla franchement inquiet. Aucun élément ne justifiait son maintien en détention.-

– Eh bien, Lieutenant, nous voici revenus à la case départ !

– Pas tout à fait ! Sudre a pu continuer sa petite affaire très longtemps. Comment un jeune gardien de la Paix a-t-il pu manœuvrer ainsi sans éveiller le moindre soupçon ? Il est impossible que personne n’ait noté son train de vie, et le service entier auquel il appartient a été suspecté.

– Vous songez à une piste ?

– La même que vous ! Le commanditaire est de la maison Poulaga. Probablement à l’IGPN ! Il va falloir être prudents

– Et discrets

Le lieutenant Delmont et la juge Mercier écrasés par la tournure des évènements convinrent de n’échanger désormais qu’en dehors de leur bureau respectif. Ils se quittèrent en silence, le visage grave, conscients de se fourrer dans un sacré guêpier !