Le gang des triplées

23 août 2020 2 Par Nadiege

Je pénètre dans la cour de récréation. Nous sommes très nombreux dans ce nouveau groupe scolaire, au milieu d’une cité en banlieue d’une grande ville. Ma famille vient d’y emménager. Je suis arrivée un mois après la rentrée, il y a quatre jours. Je ne connais personne, tout juste si j’ai pu repérer quelques visages parmi la trentaine qui partage les mêmes bancs que moi !

Au moment où je passe près d’elles, trois pimbêches blondes à couettes, habillées de la même manière, avec un gilet rouge, nœud assorti dans les cheveux, se poussent du coude et se moquent ouvertement de moi. Elles me barrent la route, me provoquent, me bousculent. J’essaie de les éviter. Personne ne semble prêter attention à la scène. Heureusement, la cloche retentit. Je vais me ranger sous le préau avec les élèves de ma classe, face au repère tracé sur le mur, une coccinelle pour les CE1. Elles vont un peu plus loin rejoindre leur groupe.

Je suis triste, je me sens seule. Pourtant la maîtresse m’a gentiment accueillie.  Elle essaie de faciliter mon intégration. Elle me demande de décrire aux autres élèves l’école d’où je viens. Elle a certainement compris combien l’adaptation que l’on me demande est grande. J’habitais dans un petit village, et j’ai appris à lire dans une classe unique qui comptait une quinzaine d’enfants. Les petits, nous étions quatre. La maîtresse s’occupait de plusieurs niveaux, et quelquefois elle les mélangeait. Nous avions le droit d’écouter la leçon d’histoire avec les plus grands, et quand il faisait beau, elle se déroulait sous un grand marronnier. Rien à voir avec cet espace bitumé où nous nous entassons !

A 10 heures, nous sortons en récréation. Marie et Cécile me proposent de jouer avec elles. J’accepte bien sûr ! Dans la cour, les trois sœurs croisées le matin me suivent et me demandent de bouger. Je n’ose pas résister, mes copines non plus.

– Laisse tomber, on va plus loin ! Elles sont vraiment méchantes ! Dès qu’il y a une nouvelle, elles l’embêtent pour montrer qu’elles sont les plus fortes !

– Mais la maîtresse ? elle dit rien ?

– Elle ne voit pas tout ! Elles ont déjà été punies plusieurs fois, mais chaque fois elles se sont vengées. Heureusement qu’on n’est pas dans leur classe !

A la sortie, elles nous toisent, nous narguent, passent le portail les premières et attendent leurs victimes en ricanant. A trois, elles sont invincibles !

Leur manège a duré quelques jours, et  j’ai pu enfin commencer à respirer. Elles ont du trouver un jeu plus amusant  et ma passivité les a sûrement découragées. Et puis j’ai deux copines maintenant !

Vendredi  matin, devant l’école, une maman vient se plaindre, elle est en grande discussion avec la directrice.  Les trois terreurs l’accompagnent. Elles portent des traces de griffures, ont des bleus sur les mollets. Il est question de cheveux tirés, de gifles, de gilets déchirés, de cartables jetés au sol. Leur mère exige une meilleure surveillance, mais la directrice semble peu affectée.

–  Elles font moins leurs crâneuses !

–  Tu sais ce qui s’est passé ?

–  Pas vraiment, mais on se renseignera à la récré !

Michèle, arrivée juste après moi quelques jours plus tôt, se joint à notre groupe.  Dans la cour, la conversation tourne autour de ce qui a pu arriver aux triplées.

–  Elles ne t’ont pas embêtée, à toi ?

–  Si, mais je leur ai dit qu’elles ne me faisaient pas peur.

Nous regardons notre camarade avec admiration. Quel courage ! Michèle n’est pas très grande, un peu ronde, plutôt timide.

–  Et elles t’ont laissé tranquille ?

–  Avant-hier, elles m’ont pris mon cartable, elles ont regardé dans ma trousse, elles ont pris mon stylo 4 couleurs et l’ont écrasé au sol. Je suis rentrée chez moi et j’ai raconté ça à maman. Elle m’a dit qu’elle en parlerait à la maîtresse, mais moi, je lui ai dit que ça ne servirait à rien.

–  Mais alors, qu’est-ce qui s’est passé ?

–  J’en ai aussi parlé à mes frères. Ils sont en CM2 chez les garçons, à côté. Ils les ont attendues à la sortie, ils leur sont tombés dessus ! Elles en  ont pris des baffes, crois-moi ! Elles ont essayé de se défendre, mais quand même, mes frères, ils sont plus grands. Elles sont prévenues que si elles m’embêtent à nouveau, ils me défendront !

–  Personne n’est intervenu ?

–  Si, des parents les ont séparés. Mais elles ont fait pleurer tellement d’élèves que personne ne les a vraiment plaintes.

Nous passons triomphalement devant les trois punaises, qui font beaucoup moins leurs intéressantes désormais.

Michèle résume la situation :

–   Elles ne pouvaient pas savoir que j’ai des grands frères jumeaux !