Ah les hommes…

27 mars 2022 6 Par Nadiege

Cette nouvelle a été rédigée dans le cadre du 16ème concours de nouvelles organisé par le blog aproposdecriture. Le thème est : « Quand je suis sorti(e) de l’immeuble, le jour se levait ». Cette phrase peut se situer à n’importe quel moment dans le texte.

Quand je suis sortie de l’immeuble, le jour se levait. Il n’était pas loin de 8 heures et je me hâtais pour
rejoindre ma voiture garée un peu plus loin. Comme tous les matins, la circulation se densifiait
rapidement. Pourvu que je ne sois pas en retard au bureau ! Durant le trajet, je me remémorais les
échanges avec Olivier qui m’avaient tenue éveillée une partie de la nuit. Je flottais sur un petit nuage
en pensant que nous allions nous rencontrer pour la première fois le soir même.
Quand je repensais aux premiers rendez-vous, que de chemin parcouru ! Et pourtant j’avais
longuement hésité à m’inscrire sur ce site de rencontres. Sans les incitations de ma collègue, auraisje sauté le pas ? Pas sûr. Mais le récit de ses folles soirées, sa bonne humeur retrouvée après des
années de solitude à attendre le prince charmant en vain, m’ont convaincue de tenter ma chance.
Surtout au moment où elle avait rencontré son futur mari. Après tout, si ça avait marché pour elle,
pourquoi pas pour moi. « Qu’est-ce que tu risques ? », m’avait soufflé Patricia. Rien, en fait .C’est
elle qui m’a aidé à rédiger mon profil, choisir un pseudo, des photos, et préciser ma recherche.
D’abord ne pas mentir. Je cherche le futur homme de ma vie, celui avec qui je pourrai demain
construire une famille, ni trop vieux, je n’ai que 34 ans, ni trop jeune, nul besoin d’un ado attardé.
Physiquement, je me fiche qu’il soit brun ou blond, pas trop petit mais au-delà de 1,70 m pas de
limite. Corpulence normale. Mais j’accorde beaucoup d’importance à la sincérité, à la fidélité, et je
préfère être claire sur ce point dès le départ.
Je dus me creuser la tête pour choisir un pseudo original et marquant : j’ai évité Marie33, il y en a
plein, Princesse aux petits pois et Fleur de passion, je ne cherche pas forcément un jardinier, pour
retenir Timide Aliénor, qui accompagnera mes débuts sur la toile.
Pour les photos, un joli portrait (je trouve !), souriante, bien maquillée, qui m’avantage. Puis une autre
prise devant un stand de brocanteur aux Puces en tenue décontractée mais un peu classe quand
même, jeans, boots, perfecto, une grande écharpe colorée, une besace, elle me représentait
parfaitement.
J’avais finalement écrit : « J’ai une grande quantité d’amour à offrir à l’homme qui rentrera dans ma
vie. Peu importe s’il me faut un peu de temps pour le trouver. Je ne suis à la recherche, ni d’une
relation éphémère, ni d’amies, ni d’échanges pour combler une solitude. Ma vie est saine, équilibrée,
et je souhaite simplement vous rencontrer pour une relation durable, sereine, apaisante, et
harmonieuse, sur la base de valeurs communes d’engagement, de fidélité, d’écoute et de respect, ou
chacun apportera sa joie de vivre. »

Et là, surprise ! Un immense magasin s’ouvrit devant moi. Tous les soirs de la lecture, pas toujours
palpitante, quelquefois déplacée, mais mon profil attirait visiblement des partenaires potentiels. Je
fixais quelques rendez-vous. Les premiers ne me donnèrent pas l’envie de poursuivre.
J’expérimentais l’écart qui peut exister entre les photos de profil et le physique réel de prétendants
trichant avec leur âge, leur poids. Je rencontrais aussi des divorcés ne supportant pas la solitude et
passant leur temps à vous raconter leurs déboires, ou cherchant fébrilement à se caser.
Je m’enhardis peu à peu et vécus quelques aventures sans lendemain puisqu’il s’avéra que les
prétendants n’étaient pas aussi libres qu’ils le disaient. Le découvrir après avoir échangé durant
quelques semaines me mit très sérieusement en colère. De quel droit me faisaient-ils perdre mon
temps ? Mon annonce était pourtant très claire.
Et puis il y eut Thierry. En tous points conforme à mes souhaits. Dès qu’il franchit la porte du bistrot
où nous avions choisi de faire plus ample connaissance, je sus que c’était lui. Physiquement, pas
mal du tout, mais surtout un sourire, et une voix grave, mélodieuse, envoûtante. La conversation
s’engagea naturellement. Deux heures plus tard, nous étions encore hypnotisés l’un par l’autre. Nous
décidâmes de nous revoir dès le lendemain, puis presque tous les deux jours, tout était fluide. Il
travaillait dans le marketing, faisait de nombreux déplacements et aspirait à une vie plus stable. Nous
fîmes quelques projets d’avenir. Après quelques nuits torrides à l’hôtel qui confirmèrent que nous
étions faits l’un pour l’autre, nous prîmes l’habitude de nous retrouver tantôt chez l’un, tantôt chez
l’autre. Un passage par sa salle de bains pendant qu’il dormait pour lui offrir au réveil un visage frais
m’amena à découvrir une alliance dissimulée dans un verre à dents. « Les hommes sont vraiment
attendrissants quand ils dorment », pensais-je en maintenant un oreiller sur son visage après m’être
installée à califourchon sur son torse et ses bras. Ce fut rapide, celui là ne mentirait plus. Bien sûr, ce
n’était pas encore le bon, mais j’avais bien progressé.
Et puis, il y eut Kevin, son portable me révéla une vie amoureuse intense. Nous étions plusieurs sur
le coup. Je ne suis pas partageuse. Il ne faut pas utiliser son rasoir électrique dans une baignoire,
c’est dangereux !
Et puis, il y eut Bernard… et Sébastien…et Philippe…L’infidélité, c’est vraiment un fléau pour les
couples. Le temps passait, j’étais toujours célibataire.
Mais je crois qu’avec Olivier, cette fois, j’ai enfin trouvé le bon. Il est chercheur. En quoi, je ne sais
pas. Peu importe. Encore plein de choses à découvrir, nous en parlerons ce soir au restaurant.
Je présentais mon badge et pénétrais dans le parking de la société. J’étais d’excellente humeur et
même si mon chef se montrait désagréable, il ne devinerait jamais à quel point je me fichais de ce
qu’il pourrait dire ou faire. Vivement la pause méridienne pour raconter à Patricia mes aventures du moment à la cafétéria. Elle suivait ça avec délectation, m’encourageait à poursuivre malgré mes
déceptions et m’assurait qu’elle serait prochainement témoin à mon mariage, elle en était
convaincue. La journée passa vite, je me garais dans une petite rue non loin de mon appartement.
On trouvait encore un peu de place le soir dans ce quartier, même si on devait chercher un peu plus
qu’avant.
Je revêtis une tenue plus sexy, une robe, des escarpins quelques bijoux discrets avant de ressortir.
Ne pas en faire trop quand même ! Quand j’entrais dans la brasserie, je le reconnus tout de suite. Il
se leva pour m’accueillir. Bien bâti, courtois, un beau sourire, tout ce que j’aime. Il me complimenta
sur ma tenue. Devant des mojitos, les langues se délient. Il semblait curieux de savoir combien de
rencontres j’avais faites sur le réseau avant ce soir. Lui-même se disait un peu désespéré par le
nombre de femmes qui au-delà d’une aventure ne souhaitaient pas s’engager sérieusement,
demande qu’il formulait pourtant clairement dans ses échanges. « Ouf ! Avec celui-là, on est sur la
même longueur d’onde ! », pensais-je.. Après le diner, je l’invitais à finir la soirée chez moi.
Lorsque nous arrivâmes sur le palier, la porte de mon appartement était entrouverte. Un agent était
en train de débrancher mon ordinateur, un autre effectuait des prélèvements. Olivier semblait les
connaître. J’étais stupéfaite. Il me montra une carte, barrée de bleu, blanc, rouge. Il était Lieutenant
de police. Ses collègues emportèrent le poste informatique. Il se tourna vers moi

– En vertu du mandat d’arrêt délivré par le Procureur de la République, je vous demande de me
suivre au commissariat pour être placée en garde à vue. Vous avez le droit de garder le
silence. Si vous renoncez à ce droit, tout ce que vous direz pourra être utilisé contre vous
devant une cour de justice.

– Mais enfin, c’est une plaisanterie ?

– -Le procédé n’est pas très élégant, je l’avoue. Mais nous enquêtons sur quelques décès
suspects depuis plusieurs semaines. Nous avons trouvé un point commun à toutes ces
affaires : ces hommes se sont inscrits sur un site de rencontres et ont échangé avec vous.
Je me suis donc mis sur les rangs pour que la police puisse récupérer les codes et faire
transcrire les conversations. Ne restait plus qu’à récupérer les preuves

– Ce sont tous des menteurs !

– Méritent-ils la peine de mort pour ça ? Car vous les avez tués, n’est-ce pas ? Tout le monde
ment, pour tromper, pour fuir, par lâcheté, par habitude, pour se sauver. Un monde
complètement transparent serait-il vivable ?
Il m’autorisa à récupérer quelques affaires. Dans la voiture qui me conduisait au commissariat, je
réfléchissais à la meilleure des façons d’expliquer mes gestes au juge. Pourvu que ce soit une
femme ! Je suis sûre qu’elle me comprendra.