Le surprenant retour du voisin

12 mai 2022 4 Par Nadiege

Marie leva machinalement la tête et jeta un coup d’œil dans la rue en refermant la porte du lave-vaisselle.  Elle reconnut immédiatement la silhouette du jeune homme qui marchait tranquillement.  Elle appela son mari :

– Philippe, viens vite ! Regarde ! C’est bien Alexandre, je ne me trompe pas ?

– Mais oui ! Qu’est-ce qui peut bien l’amener par ici ? Il y a bien dix ans qu’il est parti. Il est allé vivre à Paris chez sa tante, c’est ça ?

– Heureusement pour lui ! Sans elle,  à la mort de ses parents, il aurait fini en foyer !

Ils le suivirent du regard et le virent ouvrir le portail puis  la porte de son ancienne demeure trois numéros plus loin sur le trottoir d’en face, puis les volets.

– Ne me dis pas qu’il va venir habiter à côté !

– Les locataires sont partis il y a quinze jours. Après tout, cette maison lui appartient .

En partant au travail, Philippe croisa les déménageurs à l’entrée du lotissement. Il s’installait.

Le lendemain soir, on sonna et Philippe sursauta quand il vit  Alexandre dans l’entrée.

– Bonjour ! Je suis en train de défaire mes cartons. J’ai juste eu le temps d’aller faire quelques courses et bien sûr, j’ai oublié le sel. Je me suis dit que j’allais aller voir mes voisins pour leur en emprunter un peu. Pourriez-vous me dépanner pour ce soir ?

Marie vint le saluer et lui tendit une boîte.

– Tiens, prends la salière et garde là. J’en ai toujours une d’avance.

– Merci beaucoup. Vous me reconnaissez n’est-ce pas ?

– Oui, bien sûr ! Tu as toujours la même allure. Mais je suis surpris de te revoir ici.

– J’ai trouvé un emploi juste à côté. Et j’ai hérité de la maison. Alors pour le moment c’est la meilleure solution pour moi. Encore merci et à bientôt.

Dans les jours qui suivirent Alexandre fit la tournée de ses voisins pour se présenter. Il constata que peu d’entre eux avaient déménagé. A l’exception d’un jeune couple et d’une famille arrivée deux ans plus tôt, tous semblaient gênés en le reconnaissant. Il fit semblant de ne rien remarquer. Il mit un point d’honneur à rendre visite à tous ceux qui logeaient là quand il était enfant. Il partait bosser le matin vers 8H15 et rentrait souvent autour de 18H45. Le week-end, il bricolait et peaufinait son installation comme tout un chacun. Quand on le vit inviter des amis, la vie reprit son cours normalement.

La fête des voisins, à la fin du mois de mai constituait un moment de convivialité  important de la vie du quartier et sauf empêchement majeur, tout le monde mettait un point d’honneur à y assister. On installait des grandes tables sous les arbres au fond de l’impasse et les participants s’installaient au fur et à mesure sur les bancs. Philippe et Marie avait apporté des pizzas, plusieurs participants des grandes salades. Geneviève avait cuisiné une mousse au chocolat, Thierry une tarte aux pommes. Paul avait proposé de fournir le rosé, il l’achetait en provence chez un producteur et il faisait l’unanimité. Il faisait doux ce soir là, et quand Alexandre arriva avec un saladier de taboulé accompagné d’une charmante Emilie, on sentit qu’il faisait partie de la communauté.

Le rosé bien frais délia les langues et un voisin s’enhardit à reparler de cette terrible soirée onze ans plus tôt, et de leur difficulté à mettre des mots sur ce drame qui touchait des voisins devenus pratiquement des amis, et qui les avait laissés stupéfaits et impuissants. Alexandre hésita, puis il raconta la dispute.

– Ce n’était pas la première, ils ne s’entendaient plus. Maman voulait divorcer mais papa refusait d’en parler. Le sujet revenait sur le tapis en permanence. Ce soir là, ils en sont venus aux mains. Dans la bataille, il l’a poussée, elle est tombée, sa tête a frappé l’angle de la table basse, elle a perdu connaissance. Quinze minutes plus tard, le SAMU a pu simplement constater le décès.

– Quelle horreur ! Mais quand même comment ton père a-t-il pu basculer dans une telle violence ?

Alexandre hésita :

– Il a perdu pied quand elle lui a avoué qu’il n’était pas mon père, il ne l’a pas supporté. Quelques jours plus tard, il s’est suicidé. Je suis parti à Paris vivre chez la sœur de maman.

Philippe intervint :

– Bon parlons d’autre chose, sinon ça va plomber l’ambiance !

La fête reprit son cours, il faisait bon autour de la table, on rigolait, on se racontait des blagues, on se taquinait. Une belle soirée !

Quelqu’un osa à nouveau lui demander si ce n’était pas trop difficile de revivre dans cette maison.

– Non, j’ai changé la déco. Et puis, il fallait que je revienne !

– Mais pourquoi ? J’aurais peut-être fui ce lieu à ta place ! commenta Geneviève.

– C’est vrai, j’ai hésité. Mais récemment j’ai ouvert un carton dans lequel ma tante avait collecté des photos de famille ou de classe, des cahiers, des souvenirs de mon enfance lorsque nous habitions dans cette rue. Il y avait aussi mon carnet de santé. Et à l’intérieur, j’ai trouvé une enveloppe à mon nom.

L’assistance s’était tue. Les anciens voisins attendaient la suite avec une inquiétude que les nouveaux commençaient à percevoir.

 – Elle me révélait qui est mon père et me racontait une histoire d’amour contrariée, une double vie avec un homme marié.  Après cette lecture, j’ai décidé de m’installer ici. Mes parents sont morts, cette révélation a pris peu à peu une importance considérable, au point que j’ai décidé de chercher à retrouver ce père pour essayer de faire un bout de chemin avec lui.

– Mais tu l’as retrouvé ?, questionna Paul

– Il n’habite pas loin d’ici.

Il se tourna lentement  vers Marie :

– Désolé Marie, j’imagine que tu vous n’êtes pas au courant.

Puis vers Philippe pétrifié :

– Bonsoir, papa !