La sainteté, quelle arnaque !

1 octobre 2020 0 Par Nadiege

« – Plus tard, je serai une sainte !

–  Ah, bon ? En attendant, range ta chambre. Et prépare-toi, je ne veux pas que nous soyons en retard à l’église.»

C’est fou, ça ! Sous prétexte que je n’ai que dix ans personne ne me croit. Ils verront plus tard !

Tous les soirs du mois de mai vers 18 heures, ma sœur et moi allions avec maman, dans une chapelle abondamment  fleurie  pour dire le chapelet devant une statue de la Vierge. Je me souviens encore de l’odeur très particulière émanant d’une profusion d’œillets de poète et d’encens mêlés. Et comme la lumière était belle à travers les vitraux ! Dans cette atmosphère nos jeunes âmes aspiraient à la pureté.

Le prêtre ne plaisantait pas sur l’obligation d’honorer Marie si on voulait faire notre communion prévue le mois suivant. Ce quasi chantage lui permettait de remplir sa chapelle avant le repas du soir, avec les impétrants et leurs mères, les pères réussissant généralement  à se défiler.

Et tous les jours, nous priions pour aider les malades, protéger les miséreux, consoler les affligés, soutenir les infirmes…

Selon le curé, Marie était pour nous tous, une maman pleine de tendresse, un modèle d’espérance.

« – Tu es bénie entre toutes les femmes et Jésus, ton enfant est béni », récitions-nous en chœur devant cette silhouette blanche et bleue qui tenait un chérubin bouclé dans ses bras.

 Pour qui connaît le Nouveau Testament, il est certain que cet enfant lui a causé bien des soucis, ça n’a pas du être facile tous les jours ! Mais quelle reconnaissance ! Elle a obtenu les honneurs jusqu’à la fin des temps.

D’autres saintes ont réussi mais après de sacrées épreuves, elles ont défendu des villes, affronté des lions dans des cirques ! Pas Marie. Elle rend l’idée de béatification accessible aux existences ordinaires. Pour une femme, élever un enfant extraordinaire et reconnaissant semble être la voie.

Les circonstances de cette maternité nous paraissaient bien un peu obscures, mais le modèle semblait accessible.

Nous débutions aussi dans la confession, et dans le secret de l’isoloir, derrière un grillage en bois, nous chuchotions  nos péchés, priions pour notre pardon et nous engagions à ne plus recommencer.

Je fis part au prêtre de mon projet d’existence exemplaire qui ne pouvait déboucher que sur la gloire éternelle. Il me trouva orgueilleuse, je le jugeai injuste.

– Es- tu sûre de pouvoir consacrer toute ton existence à faire le bien ?

S’ensuivirent des considérations que je jugeai totalement disproportionnées par rapport à ce que je connaissais de la vie de quelques saintes. Certaines s’étaient quand même rachetées sur le tard ! En bref, non seulement je ne devrai pas pêcher, mais il y aurait aussi toutes les bonnes actions qu’il faudrait envisager et accomplir. Et tout ça pendant des années ! A la fin de son discours, le paradis me sembla à des années lumière !

Je m’attelai courageusement à la tâche ! Pour les saintes, deux options possibles : le martyre ou la vertu au quotidien. Pourquoi avions – nous l’impression que ce point concernait plutôt les filles ?

J’éliminai tout de suite la première possibilité et son lot d’atroces souffrances, qui allait de pair avec la vénération des reliques. Aucune envie de voir des gens se prosterner devant un de mes os, ou même une dent !

La deuxième option, la recherche de la sainteté à travers les petits gestes du quotidien, me sembla plus abordable. Il faudrait aider maman sans rechigner. Je savais faire ! L’hiver dernier quand elle est tombée malade, je lui avais apporté du bouillon et j’avais été très sage. J’avais joué avec mon petit frère sans me disputer.

– As-tu bien obéi à tes parents ? me questionna le prêtre

C’était visiblement  un critère essentiel.  Bon, pour les péchés, pour le moment, tout semblait pour le mieux. Mais pour les bonnes actions, à part  prêter mes affaires, partager mes jouets, le tableau était moins fourni.

– Ah ! si ! Je ne me suis pas moquée d’Elise et de ses dents de lapin !…et j’ai pensé à Dieu tout le temps ! Enfin, souvent !

Soirée après soirée, nous récitions le rosaire, « dans une admirable union des cœurs, des parents et de leurs enfants, qui reviennent de leur travail quotidien », selon le curé qui semblait se faire de plus en plus de souci quant à sa capacité à nous conduire sur la voie du salut.

Plus le temps passait  et plus je me disais que la sainteté, ça ressemblait assez à une arnaque !  Et je n’étais pas la seule.

Enfin, le 31 mai arriva. La fête de la visitation de Marie à Elisabeth, dont j’ai oublié les mérites, clôturait ce temps liturgique. Le prêtre louangea Marie une dernière fois, la décrivit comme le modèle de la sainteté.

– La vie de Marie est simple, mais difficile aussi : Marie connaît la douleur, la souffrance…Elle connaît la vie et ses moments difficiles ; elle peut donc comprendre nos épreuves et nous donner la force de nous tenir debout, d’être fidèles, de poursuivre le chemin

J’étais de moins en moins certaine qu’elle s’intéressait à ma petite personne.

– Marie, personne n’a peur de l’approcher, elle est si accessible à tous les humains. Son amour est comme une tour de garde. Elle nous avertit, elle vient au devant des dangers …

Au moment où le curé prononçait ces mots, un rayon de lumière balaya la statue. Du banc où je me trouvais, Marie sembla me faire un clin d’œil !

Cette fois, je fus rassurée ! Elle n’avait  sûrement pas  été aussi si sage que ce qu’on nous racontait ! Elle avait fait de son mieux voilà tout !

– Si je vais au ciel, j’irai la voir à elle. On se comprendra entre filles !