La cavale continue

24 juin 2021 0 Par Nadiege

Procès verbal de l’audition à sa demande de Sandra Mac Cormack née le 14/03 /1966, agent immobilier, résidant 9709 Anderson MillRoad, Austin TX-73344

Le 12 août 2020, Mme Mac.Cormack a déclaré la disparition de M.Bernard Suliac, avec qui elle vivait en couple depuis juin 2013. Il n’était pas rentré au domicile depuis quatre jours. L’enquête a établi qu’il avait également démissionné de son emploi de commercial au même moment. La disparition a donc été considérée comme volontaire. Mme M.C pense  avoir compris ce qui s’est passé et détenir des informations importantes pour la police.

– Je sais aujourd’hui que le départ de Bernard est une fuite. J’ai l’intime conviction qu’il s’agit d’un criminel recherché depuis plusieurs années.

– Pouvez-vous nous expliquer comment vous en arrivez à cette conclusion ?

c’est une histoire complexe.

– Comment vous êtes vous connus ?

– Bernard Suliac est arrivé à Austin en mai 2011. Il a répondu à une annonce de la ST Edward’s University qui cherchait un professeur pour assurer des cours de montage vidéo. Il parle français, c’était un critère important, l’école ayant une antenne à Angers et organisant régulièrement des échanges avec la France. Il a signé un contrat temporaire de 3 ans, renouvelable une fois. Nous nous sommes rencontrés chez un couple de voisins qui nous ont invités lors d’un traditionnel barbecue,  et nous sommes installés assez vite chez moi.

– Aucun problème durant les années qui ont suivi ?

– Non, une période heureuse, une évolution normale. L’officialisation de notre couple lui a permis d’obtenir sa carte verte en 2016, avant la fin de son contrat. Il s’est alors orienté vers un emploi de commercial en matériel informatique plus rémunérateur. Tout allait bien.

– Aucun soupçon de double vie, de problèmes professionnels, de zone d’ombre ?

– Non. Une seule chose m’intriguait. Il n’a jamais émis le souhait de rendre visite à sa famille française. Il répugnait à en parler, disait avoir coupé les ponts. Rien non plus sur sa vie privée antérieure. Je n’ai pas vraiment cherché à savoir pourquoi, j’ai toujours considéré que son passé ne me regardait pas.

– Comment votre famille a-t-elle perçu votre nouveau compagnon ?

– J’ai une fille, âgée aujourd’hui de 28 ans, qui vit en Ontario, on se voit peu, elle l’a vu une ou deux fois, pas plus. J’ai vécu un divorce difficile, elle s’est réjouie pour moi de cette relation qui paraissait harmonieuse. Alors qu’en fait, notre couple repose sur une imposture, c’est une façade qui a permis à cet homme de se fondre dans le paysage.

– Sur quels éléments vous fondez-vous pour formuler une telle hypothèse ? Il n’a peut-être pas eu le courage de rompre tout simplement, et vous a quittée  pour quelqu’un d’autre ?

– J’ai tourné notre histoire dans tous les sens sans trouver un début de justification, le plus petit désaccord. Sauf une fois, à propos de mon intérêt pour un dossier paru dans la revue SOCIETY en juillet dernier. C’est en rangeant les deux numéros dans ma bibliothèque que ça m’est revenu. Il s’est mis en colère quand j’ai acheté le deuxième, s’est dit dégoûté par ma fascination pour ce fait divers. Il ne comprenait pas ce qu’il y avait d’intéressant dans le récit de telles horreurs.

– De quelle affaire s’agit-il ?

– C’est une enquête menée par quatre journalistes sur un quintuple meurtre intervenu en France, dans la banlieue de Nantes. Un père a abattu sa femme, ses quatre enfants et ses deux labradors et les a enterrés sous la terrasse de leur maison à l’issue d’un plan minutieusement préparé. L’auteur présumé, l’homme le plus recherché de France, a disparu. Cette histoire m’a passionnée, d’autant plus qu’on n’en connaît pas l’issue. C’est comme un roman policier mais en vrai !

– J’en ai entendu parler en effet.

– Lors du dernier déjeuner que nous avons partagé avec quelques amis, quelques jours avant sa disparition, bien sûr, cette affaire fascinante polarisait les conversations, il s’est énervé, a souhaité que l’on parle d’autre chose. « Mais bien sûr qu’il s’est suicidé ! qu’est ce qu’il aurait pu faire d’autre ? a-t-il affirmé. 

– Mais réussir à disparaître ! sa famille et son meilleur ami pensent qu’il est toujours vivant ! Toi qui es français, tu n’en as pas entendu parler ? tu es arrivé quand à Austin ? à peu près à cette époque là, non ?

– Mais je ne sais pas ! J’ai commencé à la fac en mai 2011. »

-Pendant toute la durée du repas, il a essayé de changer de sujet de conversation, sans succès. Aucun détail n’a été passé sous silence, aucune supputation. Tous les convives se sentaient une âme  de détective, le criminel ayant possiblement envisagé de s’installer aux USA. Il a été vu pour la dernière fois dans le Var, dans le sud – est de la France, filmé par la caméra d’un distributeur de billets, et la manière dont il a progressivement installé dans les esprits un départ pour l’Australie tenu secret car il s’agirait d’une exfiltration destinée à le protéger lui et sa famille, et qui lui a permis de disposer de quinze jours pour disparaître, fascine malgré l’horreur. La mise en scène, un mot sur la porte (« ils sont tous malades »), la rédaction de lettres avant son départ accréditant à l’avance que même si une enquête semble contre lui, on ne doit pas la prendre au sérieux, tout interroge . Au cours de ces années, beaucoup de pistes ont été suivies, son passé, sa foi, ses difficultés professionnelles, financières. Et son corps n’a pas été retrouvé. J’ai l’intime conviction que Xavier de Ligonnes et Bernard Suliac sont une seule et même personne. Physiquement, il est moins althlétique, plutôt rond. Mais qui résiste à la bouffe américaine sans grossir ! Les dates concordent, il a fui parce qu’à un moment ou à un autre, le rapprochement aurait pu être fait.

– Et à votre avis, il pourrait être où ?

– En France. Son ami aujourd’hui  disparu pensait que la première personne qu’il chercherait à voir, c’est sa mère.

Comté d’Austin, Texas, Ranger John Fuller à l’intention du Chef de la Texas Ranger Division, le 15 octobre 2020