L’ Inspecteur Delmont mène l’enquête à l’ancienne

1 juin 2021 4 Par Nadiege

L’inspecteur Delmont se tenait prudemment à l’écart de l’agitation qui régnait dans la pièce. Un photographe shootait sous tous les angles, des techniciens déguisés en cosmonautes prélevaient des fibres de vêtements, de tapis, et relevaient des empreintes.

– Restez pas là, Delmont, vous gênez ! Laissez-faire les professionnels. Retournez donc au poste. On a besoin d’experts ici, de gens rapides.

Il supportait de moins en moins l’ironie de ses jeunes collègues, tous frais sortis de l’école et déjà donneurs de leçons, qui se moquaient fréquemment de ses raisonnements de vieux con. Son nouveau  chef, notamment, ne jurait que par les résultats des analyses des éléments recueillis sur site.

– Ok, je rentre. Quand vous aurez fini de jouer avec l’infiniment petit, n’oubliez pas de relever la tête pour avoir une vue d’ensemble. Et servez-vous un peu de votre cerveau si vous en avez un !

Vivement la retraite, pensa-t-il en se dirigeant vers l’entrée de l’appartement. Plus qu’un mois à tirer !

Que c’était-il passé dans ce salon vieillot ? Un homme gisait à côté d’un canapé fatigué recouvert de velours vert. Sa tête semblait avoir cogné l’angle de la table basse juste au-dessous d’un lustre à pampilles. Un mince filet de sang s’était échappé de sa tempe. Il était vêtu d’une robe de chambre et portait des pantoufles. Pas de trace de lutte. L’ex compagne de la victime, Monique Dubois,  sans nouvelle de lui depuis une semaine avait décidé de se rendre à son domicile pour qu’il signe les documents l’autorisant à vendre leur ancienne maison. C’est elle qui l’avait trouvé et appelé les secours. Le médecin lui, appela la police, les circonstances du décès n’étant pas très claires. Aucun obstacle dans son environnement habituel. Avait-il eu un malaise ? Une autopsie préciserait les choses. Par précaution, on mobilisa la scientifique, désormais à pied d’œuvre.

Rien ne semblait avoir bougé dans cet appartement, aucun désordre. Sur la table basse, un stylo-plume reposait sur un cahier recouvert de moleskine noire. Il comportait une liste de références, de numéros de séries, une sorte de comptabilité étrange. Mme Dubois expliqua que Pierre, son ex mari, était numismate. Il avait accumulé au fil du temps une importante collection à laquelle il tenait comme à la prunelle de ses yeux, rangée dans un coffre dans la partie basse de sa bibliothèque, avec tous leurs documents importants. Il était à sa place, fermé.

Delmont referma la porte, et chercha les escaliers. Il n’aimait pas les ascenseurs, il pouvait encore descendre deux étages. Après la troisième marche, un billet attira son attention. Il le ramassa. C’était un billet de 100 francs belge. Intuitivement, il l’emporta au commissariat. Il le glissa dans une enveloppe qui alla tenir compagnie à quelques autres dans le dernier tiroir de son bureau.

Pendant ce temps, à la demande de l’OPJ, Monique Dubois faisait le tour des pièces pour voir si des objets manquaient. Elle avait le code du coffre et l’ouvrit par acquis de conscience pour vérifier son contenu. Le constat de la  disparition de la collection orienta les enquêteurs vers une piste criminelle.

Au commissariat, le lendemain, on  commença à alimenter la procédure. L’autopsie révèla la présence d’un clou de charpente finition galvanisée de 70 mm  dit tête homme dans le cerveau de la victime. De quoi causer de sérieuses migraines ! Un crime de professionnel du bâtiment, commis avec une cloueuse à air comprimé, à bout touchant. Ou par un bricoleur, il existe désormais des modèles sans fil, on n’arrête pas le progrès.

Delmont rappela Monique Dubois qui lui décrivit le trésor de son ex-mari, en fait  composé de billets de banque. Les collectionneurs sont des gens curieux, c’est un monde de passionnés incompris de leurs pairs et qui passent des heures à échanger des références sur des forums spécialisés. Delmont le sait, lui qui collecte des chronomètres et des instruments de mesure depuis des années.

Lors de la réunion du service deux jours plus tard, il écouta religieusement les éléments amenés par ses collègues. Et à la surprise générale, il intervint :

– Je propose de convoquer Simon Robin, domicilié dans la même rue, 2 numéros plus loin. C’est le coupable.

Cette déclaration stoppa net les conversations. Devant un groupe stupéfait, le chef se tourna vers lui :

– Vraiment ? Faites-nous une démonstration, Delmont !

Alors, il déroula un raisonnement imparable. Il a appris qu’on classait les billets de banque par thème (personnages illustres, monuments), époque, par concepteur, par graveur, par date d’émission…, assimilé un vocabulaire spécifique d’échelles de cotation. Les collectionneurs sont organisés en groupes thématiques  et font fonctionner une bourse d’échange. Sur les indications d’un groupe local, il s’est connecté sur   « monnaie passion » le forum de référence des billetophiles, – et oui, il sait aussi utiliser des outils modernes en cas de nécessité- ,  a cherché le nom de la victime, l’a trouvé dans la partie Billets de pays européens. En remontant sur les échanges, une conversation avec un autre usager régulier, un voisin, a attiré son attention, ainsi qu’ un message lui proposant une rencontre. La victime a elle-même ouvert puis refermé son coffre, déposé les classeurs sur la table basse, ainsi que le cahier de cotes. Elle a introduit sans méfiance le visiteur qu’elle attendait, les deux hommes sont arrivés dans le salon. Dès qu’il a vu les classeurs, le criminel a du sortir sa cloueuse et l’approcher de la tête de Pierre Dubois, qui est tombé instantanément. Il s’est enfui avec son butin.

– Il ne reste plus qu’à aller récupérer l’arme du crime s’il l’a gardée.

– Et sinon, comme preuve ?

Delmont sortit le billet de 100 francs belge du tiroir.

– Il doit y avoir des empreintes, bien que vous ayez tous marché dessus. Il l’a perdu dans l’escalier.

Et il sortit boire un café.