Guet-Apens

6 avril 2021 0 Par Nadiege

– Hugo, je ne comprends pas que tu essaies encore de franchir le portail à 15h30 ce vendredi. J’ai pourtant été clair !  Tu dois rester en permanence jusqu’à l’heure de la sortie pour attendre Théo.

Le surveillant lui rend son carnet de liaison et le renvoie à l’intérieur

– C’est injuste ! Tous mes potes sont dehors. Et moi je reste là ! Pour attendre un frère qui est assez grand pour se débrouiller sans moi. S’il te plaît, tu peux appeler ma mère pour lui demander qu’elle m’autorise pour aujourd’hui ?

– Je l’ai déjà fait la semaine dernière ! Elle est intraitable. Elle a décidé que vous rentreriez tous les deux ensemble. Et ce n’est pas dramatique. Profites-en pour t’avancer dans ton travail personnel, c’est autant de gagné sur ton week-end !

Hugo regarde les copains s’éloigner, la rage au cœur. Il rejoint la salle d’études.

– Arrête de bouder ! je la comprends, ta mère ! En ce moment, il y a souvent des conflits aux abords du collège. Théo est en sixième, tu es plus grand, ça la rassure.

Il jette ses cahiers sur la table. Il n’a jamais demandé à avoir un frère ! Si les parents veulent des gosses, qu’ils s’en occupent !

– Je ne suis pas sa mère ! Je l’ai tout le temps dans les pieds ! Théo par ci, Théo par là. Je dois l’emmener partout. S’il fait des bêtises , c’est moi qui ai tort, il a tous les droits, c’est toujours moi qui prend !

– Bon ça suffit !  Mets –toi au travail maintenant, lui intime le surveillant.

Hugo est exaspéré. Enfin, la sonnerie retentit. Il se précipite vers la grille et s’énerve en voyant Théo arriver tranquillement.

– Grouilles-toi ! accélère !

Théo fait ce qu’il peut, il n’est pas très grand et son sac à dos est bien lourd.

 Plusieurs bus de ramassage s’alignent devant le portail. Les adultes surveillent la montée des élèves, et leur départ. Ceux qui rentrent à pied se dispersent assez vite, et disparaissent à l’angle de la rue ou derrière la salle polyvalente et le petit bosquet qui l’entoure.

Hugo sourit en reconnaissant un groupe de lascars qui les attendent, il ne les connaît pas tous. Son plan s’est mis en place comme convenu. Il va charger, le chouchou ! Il faut que ça s’arrête ! Que les parents comprennent qu’il soit là ou pas, ça ne change rien.

Il a mis à profit le relâchement de la surveillance fréquent la dernière heure de la semaine, pour allumer discrètement son téléphone portable et rejoindre ses comparses sur Snap. Et la solution au problème ne s’est pas fait attendre.

– On va le défoncer, le petit merdeux, et il ne voudra plus jamais traîner avec les grands. Et on t’empêchera de le défendre bien sûr !

Hugo regarde Théo essayer de courir et se délecte à l’avance :

– Tu vas prendre cher ! Tu vas payer pour tout ce que tu m’as fait ! C’est rude, mais c’est la vie.

Les deux frêres marchent vers les arbres, et soudain le groupe surgit. C’est bien organisé, il y a des spectateurs, certains filment la scène. Théo voit tout de suite que ce sont  des grands, des quatrièmes, quelques troisièmes , les terreurs habituelles de la cour de récréation, plus quelques amis du collège voisin. Des filles aussi attirées par la promesse de l’affiche. La vidéo fera le buzz, du moins on l’espère !

Les coups commencent à pleuvoir. Théo est à terre, il saigne du nez. Il pose son sac. On l’encourage à se défendre. Il se relève en pleurs. Il se tourne vers Hugo qui ne bouge pas.  Enzo, celui qui a été exclu  quinze jours auparavant par le Conseil de discipline n’est pas venu seul. Ils sont trois tirés au sort pour le corriger. Ils  s’avancent pour le frapper. Théo se défend comme il peut. Un le fait tomber, un autre le frappe au sol, il hurle. 

– Bon, ça va maintenant ! ça suffit ! crient quelques élèves qui comprennent que Théo est en danger et qui s’éloignent. 

– T’en fais pas Hugo ! Ils diront rien, c’est pas des balances ! Ils ont pas intérêt en tous cas ! lui précisent les copains organisateurs.

Mais les autres en veulent plus. Ils sont quand même venus pour ça. 

Malgré les encouragements des spectateurs, puis les sarcasmes, Théo ne se défend plus, il pleure. La fête est finie, plus d’action intéressante à filmer.

C’est alors qu’Enzo sort une lame  et s’avance.

– On va lui faire une marque ! ça lui fera un souvenir !

Hugo ne peut plus rien contrôler. Les évènements dépassent  ce qu’il avait imaginé. Sa famille ne lui pardonnera pas si elle sait, mais elle ne saura pas, pense-t-il.

 La meute maintient Théo  qui se débat pendant qu’on lui arrache son manteau et son pull.

Hugo s’est interposé presque par réflexe. La lame a pénétré son abdomen . Avant de s’écrouler, il a le temps d’apercevoir le visage couvert de larmes et de sang de son petit frère et le départ précipité des témoins horrifiés qui se dispersent comme une volée de moineaux. Enzo, hébété, a balancé son couteau dans les buissons et court derrière eux. Hugo entend le son d’une sirène de camion de pompier avant de perdre connaissance.