Ce n’était pas un accident

25 décembre 2021 0 Par Nadiege

Marie était fatiguée. Contente d’avoir terminé son service et d’avoir passé le relais à une autre sage-femme. Même si elle adorait son métier, la journée avait été chargée et il lui tardait de retrouver son appartement. Elle hâta le pas pour rejoindre sa voiture garée sur le parking des personnels de l’hôpital. Il faisait froid, noir, il était un peu plus de 22h, et en novembre l’atmosphère de ce genre d’endroit, plutôt lugubre. Elle attrapa ses clés dans son sac. Alors qu’elle  actionnait machinalement  l’ouverture de sa portière, elle avisa une feuille posée sur son pare-brise. Elle la récupéra. Au feutre, en lettres capitales, un message : « Salope ! Je te jure que je vais te crever ». Pas de signature, bien entendu. Tremblante, elle regarda autour d’elle. Peu de véhicules à cette heure-là, uniquement  ceux des agents de service de nuit. Elle ne vit personne.

Elle démarra lentement, présenta son badge. La barrière se leva, elle s’engagea sur le boulevard, la circulation était fluide à cette heure là. Elle ne pouvait s’empêcher d’être inquiète, retournait la menace dans sa tête. Qui pouvait lui en vouloir à ce point ? Elle avait beau réfléchir, elle ne se connaissait pas d’ennemi.  Elle restait aux aguets, surveillait les voitures dans son rétroviseur. Au bout de dix minutes, il lui sembla qu’une Peugeot blanche suivait le même itinéraire qu’elle, à un véhicule d’intervalle. Elle décida de changer de direction, elle suivit. Elle fit plusieurs détours  pour être sûre, elle était toujours là.

Paniquée, Marie se dirigea vers le commissariat central, se gara brusquement sur l’arrêt de bus situé devant l’entrée. Au moment où elle sortait, la voiture accéléra franchement, manqua la renverser en la dépassant et disparut.

Le policier de service vit arriver une jeune femme tremblante, bouleversée. Il écouta l’histoire, rédigea une main courante après avoir posé quelques questions :

– Avez-vous vu à quoi ressemblait le conducteur  ?

– Je pense que c’est une femme, cheveux longs châtains, des lunettes. Rien d’autre, elle est passée trop vite.

Il examina le texte menaçant qu’elle lui présenta :

– Avez-vous récemment eu des ennuis avec des patients ? Comment est l’ambiance au sein de votre service ?

Marie se rendit compte qu’il ne prenait pas l’affaire au sérieux. Il pensait à une blague de collègue –  d’un goût douteux, c’est certain – et son imagination aurait fait le reste. D’ailleurs, le parking où elle était garée était réservé aux soignants. Il la raccompagna jusqu’à la sortie.  Elle ne  repartit pas rassurée, fit attention avant de rejoindre son quartier, vérifia qu’il n’y avait personne derrière elle avant d’entrer dans le garage de son immeuble. Elle regagna toutefois son appartement sans encombre. Plusieurs fois, avant de se coucher, elle ne put s’empêcher de guetter par la fenêtre les rares voitures qui circulaient. Elle finit par s’endormir vers deux heures du matin.

Le lendemain, elle commençait à 14 heures, il faisait jour, c’était quand même plus rassurant. Elle resta tendue en mode surveillance mais rejoignit la maternité sans encombre. A la pause, elle raconta sa mésaventure de la veille à ses collègues.  Une aide soignante se souvint que l’an dernier, une infirmière avait été renversée sur le passage clouté devant l’hôpital par un chauffard qui avait  pris la fuite. L’enquête conclut à un accident.  Toutes firent part du sentiment désagréable qu’elles éprouvaient le soir en regagnant leur véhicule dans ce parking et décidèrent d’insister auprès de leur hiérarchie  pour qu’il soit surveillé.

Son service terminé, Marie pressa le pas jusqu’à sa voiture, elle restait en mode vigilance. Durant plusieurs jours, il ne se passa rien d’anormal. Le policier avait peut-être raison, elle se détendit progressivement.

Nouvelle semaine, nouveau rythme. Même quand on adore son métier, 22 heures – 6 heures, c’est la séquence la plus rude pour l’organisme. Plusieurs petits êtres étaient venus au monde cette nuit. Toujours émouvant, les bébés, mais épuisant quand même. Marie monta dans sa voiture. Elle aimait ce moment particulier où la ville s’éveillait, la circulation apaisée, les premiers voyageurs stationnant aux arrêts de bus, les boulangeries ouvertes, la vie reprenait peu à peu, tout était encore calme avant le grand embouteillage du matin. Elle reprit son itinéraire habituel, pensa au bain chaud qu’elle se ferait couler en arrivant avant de se recoucher pour quelques heures.

Et soudain, alors qu’elle se trouvait à proximité de chez elle, elle la vit, sur la file de droite un peu plus loin. La Peugeot avança à sa hauteur, la même conductrice. Trop tard, elle ne pouvait plus changer de route. Paniquée, elle accéléra franchement, donna un premier coup de volant pour tourner brutalement  à gauche dans sa rue et un second  pour s’engouffrer dans l’entrée du parking de son immeuble situé tout près du carrefour. Son badge était prêt. Au moment où le portail se soulevait, la voiture blanche passa à pleine vitesse derrière elle et alla percuter de plein fouet une Yaris qui franchissait la rue voisine.

Elle ne se souvint pas comment elle avait réussi à quitter son véhicule tant elle tremblait. Les larmes brouillaient sa vue. Elle attendit l’arrivée des secours pour s’approcher. Les voisins qui avaient donné l’alerte la réconfortèrent. Les deux conducteurs étaient gravement blessés.  Dans le choc, la perruque et les lunettes de son poursuivant  avaient glissé.  Elle reconnut alors un ancien collègue dont le contrat n’avait pas été renouvelé.  Plus tard,  avant d’être interné, son poursuivant avouera qu’il avait décidé de l’éliminer . Il dira aussi avoir, quelques mois plus tôt,  roulé avec plaisir sur la salope qui refusait  ses avances. Ce n’était pas un accident. D’ailleurs, il détestait les infirmières.