A l’enterrement de Georges…

6 juillet 2020 0 Par Nadiege

Je suis là, derrière ce corbillard, qui conduit Georges à sa dernière demeure, selon l’expression consacrée ! Le prêtre a eu des mots justes, Philippe a merveilleusement parlé de ce père attentif et de leur relation.  Et maintenant, j’ouvre le cortège qui suit la sinistre voiture.

J’assiste à la sortie du cercueil dignement, j’essaie de ne pas pleurer. Nous ne sommes pas très nombreux, quelques voisins et deux collègues de bureau se sont joints à nous, et ont souhaité  nous accompagner pour cette étape ultime. Nous nous regroupons autour  de l’officiant. Vêtu de la  de la chape, selon le rituel catholique, il procède à l’encensement. Les employés des Pompes Funèbres descendent le cercueil dans la fosse. J’écoute l’homme d’église confier le corps de l’homme que j’aime à Dieu, mes larmes coulent désormais. Tout cela ressemble à un mauvais rêve. Georges ! Mon mari, mon ami, mon compagnon depuis quarante-deux ans, va reposer désormais dans ce trou ! Les bras de mon fils m’entourent, il me soutient. Le prêtre commence à asperger le cercueil du défunt avec de l’eau bénite. Puis, je prends le goupillon et effectue le geste rituel, avant de le transmettre à Philippe.

Et soudain je l’aperçois ! De l’autre côté de la tombe, elle me regarde fixement. Comment a-t-elle osé venir ? Les voisins semblent se demander qui elle est. C’est la dernière personne à bénir le cercueil. Elle est magnifique, le noir lui va bien. C’est volontairement qu’elle ne porte pas de lunettes noires. Elle me défie, tout le monde va comprendre qu’elle occupait une place importante dans la vie de Georges. Elle ne souhaite pas qu’on l’oublie. Peu importe la bienséance !

C’est la fin des funérailles, les participants quittent un à un le cimetière tandis que le brancard est remonté dans le véhicule qui s’éloigne vers la sortie. Seul le prêtre est encore présent. Philippe m’entraîne, mais elle s’avance vers moi :

-tu vois, tu ne l’auras pas gardé non plus ! Pas la peine de jouer les veuves éplorées avec moi, nous savons toutes les deux à quoi nous en tenir. C’est avec moi qu’il voulait vivre, il t’avait dit qu’il allait te quitter. C’est avec moi qu’il était vivant, nous avons beaucoup ri ensemble. Entre vous, il n’y avait plus qu’un quotidien morne et les angoisses du qu’en dira-t-on d’une bourgeoise coincée.

-vous choisissez le moment idéal, Madame, pour venir tenir devant mon fils des propos mensongers. Quelle classe ! Georges n’a jamais eu l’intention de partir. C’est un homme, je comprends qu’il ait été tenté par une aventure avec une sans-gêne comme vous ! Vous n’êtes pas la première, et peut-être n’auriez-vous pas été la dernière sans cet infarctus qui a mis fin à vos velléités de main mise sur notre patrimoine. Dois-je vous expliquer combien votre présence est déplacée en ce lieu, au moment où nous n’aspirons qu’à le pleurer ?

-Arrête ton numéro ! Regarde ton fils ! Il connaît mon existence bien sûr, puisque son père se partage entre nos deux domiciles depuis plusieurs années. Il t’a ménagé, a sauvé les apparences en étant présent aux fêtes de famille. Mais il ne se passait plus rien entre vous depuis longtemps déjà. Il t’avait parlé de son souhait de tout quitter pour refaire sa vie avec moi. Tu as même fait intervenir ton confesseur pour le raisonner et tenter de le remettre dans le droit chemin. Qu’est-ce qu’on en a ri !

-Madame, j’aimais mon mari et il m’aimait en retour. La famille était très importante pour lui et ses convictions chrétiennes auraient guidé sa décision. Nous avons vécu ensemble très longtemps un bonheur simple, mais sincère. Je suis bien moins flamboyante que vous, mais un feu de paille n’a jamais constitué une menace sérieuse pour une eau dormante. Il suffit d’attendre, et tout rentre dans l’ordre. Georges n’aimait pas plus le scandale que moi !

-Menteuse ! Il avait introduit sa demande de divorce, et tu n’as répondu à aucune convocation, aucun courrier !

-Je viens de vous parler de l’eau dormante ! Elle laisse peu de prise, c’est sa force ! J’ai ignoré cette démarche et personne n’aurait pu me la faire accepter.

Philippe intervient :

-Madame, à quoi bon ce scandale ! J’emmène maman, nous allons remercier ceux qui l’ont accompagné aujourd’hui. Mon père est mort. Si vous l’aimiez sincèrement, vous avez le droit de le pleurer comme nous le faisons. Et je vous remercie de nous laisser désormais tranquilles.

Mais elle n’entend pas quitter si vite la place ! Elle reste sur notre chemin.

-Espèce d’hypocrite ! Et ça va à la messe ! Et ça fait la morale ! N’ai pas peur, je vais disparaître mais j’ai quelques doutes sur la fin de l’histoire. Georges était en pleine forme la dernière fois que je l’ai vu, il est mort chez lui. Tu as appelé les secours ? Quand ?

-le principe de la crise cardiaque, c’est qu’elle ne prévient pas ! La veille de sa mort, en général on est en vie ! J’ai choisi de faire lire à la messe un texte du livre de la Sagesse qui rappelle que la vie de tout homme est dans la main de Dieu. Au revoir Madame.

-c’est ça ! Qu’est ce que tu lui as raconté qui lui a causé un tel choc ? C’est fini pour toi aussi. Retourne à ta petite vie minable, pleure, surtout en public ! C’est tout ce que tu sais faire de toute façon ! Ne laisse aucune place à l’imprévu, à la vie !  Attends sans rien dire, tu es déjà morte en fait !

Elle s’efface enfin. Je vais pouvoir sortir.

Deux policiers sont présents à la porte du cimetière. Déjà ! Je ne pensais pas qu’ils iraient aussi vite.

-Madame, nous allons vous demander de nous suivre. A partir de maintenant, vous êtes en garde à vue. Vous êtes suspectée du meurtre de Georges X. Nous pouvons vous accompagner pour prendre quelques affaires et nous  appellerons votre avocat, si vous en avez un, ou un de ses collègues commis d’office.